Le Poetic Lab : Un printemps poétique à la Haute École Charlemagne
Chaque année, les murs de la Haute École Charlemagne – Les Rivageois résonnent autrement : la langue française y est célébrée dans toute sa vivacité, sa richesse, sa pluralité.
Mené depuis six ans avec passion sous la houlette de Charlyne Audin, le poétique Lab transforme le cours d’outils de la langue en un véritable terrain d’expérimentation poétique. Pendant une vingtaine d’heures, les étudiants du Master en didactique du français rencontrent des artistes, poètes, poétesses, penseurs et penseuses du langage, qui leur proposent des ateliers d’écriture aussi riches qu’originaux.
Loin des contraintes académiques, la langue y devient un espace d’exploration, d’introspection et de partage.Pour cette sixième édition, trois invité·es se sont succédé·es : Valentine Bonomo (avec la revue Papier Machine), Haleh Chinikar (et ses haïkus méditatifs), et Aliette Griz (avec son étonnant kung-fu poétique).
Dire le mot, questionner le sens : plongée dans "Papier Machine"
C’est Valentine Bonomo qui a ouvert le bal, en conviant les étudiant·es à plonger dans l’univers foisonnant de Papier Machine, revue de création à la croisée de la littérature, de la philosophie, de l’art et des sciences humaines.
Avant l’atelier proprement dit, les étudiant·es ont été conviés à une session d’écoute immersive du documentaire sonore réalisé par Lucie Combes (rédactrice en cheffe de la revue), diffusé dans le cadre d’une exposition au Comptoir asbl. Ce moment de mise en voix a permis de s’imprégner de la dimension sonore et sensible des mots.
Le lendemain, en atelier, Valentine Bonomo a proposé un questionnement autour du verbe "dire". Guidés par des textes de Malo Morvan, Jean-Marie Klinkenberg, Djamila Ribeiro, Audre Lorde, Lisette Lombé, Pascal Leclercq ou encore Colette Nys-Mazure, les étudiant·es ont tenté de cerner ce que "dire un mot" signifie vraiment.
La revue Papier Machine choisit pour chaque numéro un mot-étincelle, point de départ d’écrits inédits et de formes hybrides. Cette démarche a inspiré les étudiant·es à interroger leurs propres mots : ceux qui blessent, ceux qui relient, ceux qu’on tait. Grâce à la plateforme du Tribunal des mots, chacun·e a pu déposer symboliquement plainte contre un mot encombrant, et réhabiliter ou détourner son sens.
Une manière ludique et profonde d’ouvrir le Poetic Lab : en explorant les interstices du langage, on apprend aussi à mieux habiter sa propre langue.
Haïkus, riz et contemplation : le temps lent avec Haleh Chinikar
Le deuxième atelier a été une véritable pause poétique dans le rythme effréné du quotidien. Haleh Chinikar, poétesse belgo-iranienne, a initié les étudiants à l’art du haïku, forme brève d’origine japonaise qui saisit l’instant dans sa plus pure simplicité.
Mais avant d’écrire, il a fallu apprendre à voir autrement. Haleh a d’abord invité les étudiant·es à un exercice méditatif : plonger les mains dans du riz et des lentilles, séparer les grains un à un. Cet acte simple, inspiré de ses souvenirs d’enfance en Iran, visait à rééduquer l’attention, à ralentir le flux des pensées, à s’ancrer dans le présent.
La suite s’est déroulée au parc de la Boverie, où la poétesse, à la manière de Marina Abramovic, a guidé les participant·es dans une connexion sensorielle avec le vivant. Après ce moment de pleine présence, les étudiants ont été invités à « épuiser » les lieux, à décrire en détail une scène ou un élément, selon la technique de l’ekphrasis.
Puis, dans un dernier mouvement, il a fallu réduire, condenser, ne garder que l’essentiel : le rythme d’une saison, le frisson d’un moment, la trace d’une émotion. Guidés par les anthologies de haïkus contemporains (Des Haïkus plein les poches, éditions CotCotCot), les étudiant·es ont écrit leurs poèmes, petits joyaux d’intensité, à l’écoute de la nature et d’eux-mêmes.
Écrire en mouvement : kung-fu poétique avec Aliette Griz
Enfin, pour clore cette édition du Poetic Lab, Aliette Griz a proposé un atelier étonnant mêlant corps, mots et gestes : « Cherche ce qui te protège ».
Poétesse, calligraphe et passionnée d’arts martiaux, elle a conçu pour l’occasion un jeu de cartes poétique, inspiré du célèbre jeu des 7 familles.
Chaque étudiant été invité à créer sa propre famille de mots-refuges, en puisant dans l’intime, sans se dévoiler tout à fait. Ces cartes-poèmes sont devenues des abris, des fragments d’identité, des manières détournées d’exprimer des émotions parfois difficiles à formuler.
L’atelier a ensuite plongé les étudiants dans l’univers du logogramme, à la découverte de l’œuvre du poète Christian Dotremont, et dans les volutes de l’écriture arabe, avec les kalames, pour tenter d’inventer une écriture à soi.
En mêlant calligraphie, dessin, et exploration symbolique, les étudiants ont créé de véritables enluminures, entre geste poétique et combat intérieur.
Une journée dense, entre esquive et attention à l’autre, entre soi et le monde. Le mot est devenu souffle, trait, mouvement. Et la poésie, une réponse à la violence du monde – un outil de lutte contre les inégalités, mais aussi de transformation sensible.
Et maintenant ?
Le Poetic Lab referme doucement les pages de cette édition 2024-2025 pour les étudiants du Bloc 2… mais l’aventure continue ! Très bientôt, ce sont les étudians de Bloc 3 qui prendront la relève en animant, à leur tour, des ateliers d’écriture à destination d’élèves du secondaire.
Un passage de relais qui illustre pleinement l’esprit du Poetic Lab : une transmission vivante de la langue, de ses possibles, et de sa capacité à créer du lien.
📍 Le Poetic Lab de la Haute École Charlemagne – Les Rivageois est soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles et le programme La Plume au bout de la langue.
📖 Pour découvrir les coulisses du projet, retrouvez l’article de didactique du français auquel Charlyne Audin a contribué, en ligne sur Les Carnets Poédiles :
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